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19 - Guillaume Guérin (Histoire des Guérin)

(rédaction du 9.4.92)




19. GUILLAUME GUERIN
Avocat au parlement d'Aix





Toutes les familles possèdent leur brebis galeuse. La notre ne fait pas exception. Guillaume Guérin vivait au temps de François I. S'il avait vécu de nos jours, il aurait aussi bien fait un chef de bande qu'un trafiquant en écritures publiques . Mais même s'il a payé ses crimes et qu'il méritait amplement son châtiment, reconnaissons qu'il a joué le rôle d'un lampiste et a été sacrifié aux lieu et place de plus puissants que lui. C'est la seule justice qu'on puisse lui rendre.

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La première mention le concernant indique qu'il était lieutenant du roi à Houdan et qu'il fut destitué de sa charge pour concussions dans les affaires du royaume. C'était un début prometteur. Mais disons à sa décharge que la concussion était une règle générale, car ceux qui achetaient fort cher leur charge étaient bien obligés de se rattraper sur leurs administrés en leur extorquant des frais de première installation . Seul un usage séculaire, toujours en vigueur de nos jours, interdisant de franchir certaines limites assez mal définies, mais en relation avec l'état social de l'intéressé, la nature de sa charge et le niveau d'extorsions des autres. Il est toujours de très mauvais goût de voler au dessus de sa condition. C'était une question d'harmonie sociale. Guillaume Guérin franchira cette limite à ne pas dépasser.
Nostradamus , qui l'avait bien connu, l'avait déjà jugé et décrit comme un homme aussi noir de corps que d'âme, autant froid orateur que persécuteur ardent et calomniateur effronté. On est prévenu sur la valeur morale du personnage.
Je ne sais par quels cheminements le roi François I, en date du 12 août 1541, le nomma avocat général au Parlement d'Aix en Provence. Cette charge correspondrait de nos jours à celle de procureur. Il était donc depuis quelques années en place lorsque le roi édita un arrêt contre les Vaudois.

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Les Vaudois étaient les adeptes d'une secte religieuse fondée par Pierre de Vaulx . Ce riche marchand de Lyon avait été frappé de compassion lors de la grande famine de l'année 1176. Il avait été également touché par l'exemple de Saint Alexis et du cantilène écrit vers 1040 sur sa vie et ses oeuvres, l'un des plus anciens monuments de la langue française.
Saint Alexis était le fils d'un seigneur romain et aurait vécu au cours de quatrième siècle. Il profita du soir de ses noces pour démontrer à sa jeune épousée la vanité de tous les biens de ce monde, y compris l'intimité qu'elle attendait précisément de lui pour se blottir dans ses bras. On ne sait si cette dernière partagea sa manière inattendue de concevoir une nuit de noces. On se demande même bien pourquoi il s'était marié car il aurait pu lui épargner cette mortifiante désillusion. Toujours est-il qu'Alexis, n'ayant pas trouvé en elle l'oreille attentive qu'il espérait, s'enfuit à Laodicée puis à Édesse pour mener la vie de privations et de pauvreté qu'il s'était assignée, mais laissant son épouse aussi vierge qu'auparavant.
Il revint beaucoup plus tard à Rome où personne ne le reconnut et où il fut hébergé sous l'escalier de son propre palais. Sans doute était il également masochiste . Une telle conduite justifierait pleinement de nos jours un internement psychiatrique. C'est seulement après sa mort que sa famille apprit qu'elle l'avait hébergé sans le connaître. Il s'agissait bien entendu d'une légende, mais tout le monde y croyait dur comme fer, Valdo comme les autres.
Valdo, qui semble avoir été veuf de bonne heure, plaça ses deux filles dans un couvent sans même leur demander leur avis, renonça à ses biens et les distribua aux pauvres. Puis il rassembla autour de lui ceux qui partageaient ses convictions et qu'on désignerait désormais comme les Pauvres de Lyon, ou encore les Vaudois. Le mouvement était lancé. Il ne tardera pas à faire parler de lui.

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Le désir de pauvreté absolue des Vaudois trouvait sa justification dans la Bible. Pour qu'elle soit à la portée des fidèles, ils furent logiquement amenés à la traduire en français. Ils ne savaient pas encore que la Bible était un texte parfaitement explosif, contenant de dangereuses idées contestataires d'avant-garde et qu'il était dangereux de la mettre entre toutes les mains. Mais ils savaient aussi qu'une grande partie de son enseignement contrastait nettement avec la vie d'un clergé prévaricateur, jouisseur et souvent corrompu.
Logiques avec leurs croyances, ils furent amenés à refuser tout ce que ne contenaient pas les Écritures, le culte des saints, la messe, le purgatoire, la prière pour les morts, la confession auriculaire, les indulgences et surtout un clergé tel qu'il était constitué .
Sans toutefois aller jusqu'à condamner le mariage comme le faisaient les cathares , ils s'estimaient en droit de le dissoudre dès que l'un des conjoints devenait maître ou maîtresse afin de leur offrir un cadre plus adapté à un meilleur accomplissement religieux. On ignore à quel point ils tenaient compte du conjoint ainsi divorcé sans le vouloir, mais connaissant les antécédents de Valdo avec ses filles on peut imaginer la rigueur obtuse de sa jurisprudence.

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Non content de cette décisive prise de position, les Vaudois s'infligeaient d'autres interdictions. Il est curieux de constater combien les interdictions forment le ciment entre les tenants de certaines croyances. Les Vaudois ne firent pas exception. Ils refusaient de manger de la viande et se nourrissaient principalement de légumes et de salades écologiques. Ennemis de la violence, ils s'opposaient à la peine de mort et refusaient le service militaire.

Avec un tel programme, il était à présumer qu'ils se heurteraient nécessairement aux autorités constituées et à l’Église Romaine que les Vaudois estimaient indigne de représenter l'enseignement de Jésus. Ils prétendaient également qu'elle avait décrété de sa seule autorité des commandements qui n'avaient rien à voir avec la parole de Dieu et ne servaient qu'à lui asservir les fidèles. Ils firent sécession vers 1179. Lucius III leur interdit alors de prêcher puis les excommunia lors du Concile de Vérone en 1184.
Les Vaudois recueillirent des pénitents, les humiliés lombards qui s'étaient répandus dans toute l'Italie du nord. Ils étaient faits pour s'entendre, ayant à peu près les mêmes aspirations. Ils essaimèrent rapidement en Allemagne, en Flandre et en Aragon mais ceux d'Espagne furent les premières victimes de la répression. Quatre vingt d'entre eux périrent sur le bûcher en 1211.
Quant à Valdo, en dépit de ses sentiments des plus sincères, il n'appréciait pas beaucoup qu'on lui résiste. On l'avait déjà constaté au sujet de ses filles, spoliées et enfermées au couvent de par sa seule autorité. Malgré son caractère entier, peut être aussi à cause de lui, Valdo était tout naturellement devenu le pape des Vaudois. Par contre, son autoritarisme n'était pas du goût des Lombards qui, pour cette raison reprirent leur indépendance en 1218, peu après la mort de Valdo. Ces Lombards retournèrent dans leurs vallées alpines désignées sous le nom de vallées vaudoises , où ils élurent une espèce de pape qui présidait la commune dès le début du treizième siècle.

Dès le début de leur existence, les Vaudois distinguaient deux classes de fidèles. Les simple sympathisants, les nouveaux adhérents ou disciples étaient appelés les amis. Comme chez les Cathares, ils pouvaient rester dans la vie profane et posséder des biens tout en partageant les croyances de tous en pratiquant l'entraide et la charité chrétienne. Mais il fallait subir un noviciat et faire voeu d'absolue pauvreté pour être considéré comme un membre à part entière et mériter le nom de Pauvre, Maître ou apôtre. En sus de ces désignation qualitatives, ils organisèrent une hiérarchie à trois degrés. D'abord venaient les diacres, puis les prêtres, enfin les évêques qui seuls avaient le droit de donner la communion.

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Au début du seizième siècle, les seuls groupes organisés de Vaudois se trouvaient en France, en Italie et en Allemagne, ces derniers ayant à leur tour fait sécession d'avec leurs cousins italiens. Ils étaient appelés à se revoir car de nombreux vaudois d'Italie et du Dauphiné avaient été appelés comme colons dans les collines du Lubéron. Cette région frontalière faisait partie du royaume de France. Les Vaudois y introduisirent la vigne et on leur doit les Côtes du Lubéron.un cru toujours aussi apprécié de nos jours.
Ils habitaient les villages de Buoux, Cabrières, Gordes, Lacoste, Lourmarin, Mérindol et Villelaure. En désaccord avec les anciens habitants que pour des raisons religieuses, ils ne fréquentaient pas, ils vivaient entre eux, se mariaient entre eux ou avec leurs cousins du Piémont ou du Dauphiné. Ils avaient une organisation patriarcale et leurs anciens ou barbas (oncles) réglaient à peu près toutes les questions religieuses, civiles ou économiques. Leur conduite ne donnait lieu à aucune critique. Leurs terres étaient bien entretenues et leurs seigneurs en tiraient des revenus sans problèmes.
Lors de la Réforme, ils accueillirent les persécutés autant que les prêtres et les moines défroqués, ayant résisté à l’Église romaine bien avant les autres et sachant par expérience ce que signifiait leur situation. C'est tout naturellement qu'ils adhérèrent à la Réforme en 1532, grâce à l'action de Guillaume Farel .

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Ils ne pouvaient qu'inquiéter le pape Clément VII qui était leur voisin immédiat par ses possessions du Comtat. Il voulait bien protéger les juifs d'Avignon qui ne lui causaient aucun souci, lui rapportaient de confortables taxes et n'affichaient aucun prosélytisme. Ce n'était pas le cas des Vaudois. Leur exemple pouvait devenir contagieux car ils représentaient toujours un grand danger pour l'église officielle. C'est lui qui incita François I à combattre activement les Vaudois, au besoin par les méthodes les plus énergiques.
L'année même où les Vaudois adhérèrent à la Réforme, donc en 1532, des soldats éméchés enlevèrent des filles de Cabrières pour les convertir de force. Malgré leurs doctrines sur la non-violence, leurs parents prirent les armes et les délivrèrent. Ils s'étaient armés et allaient le rester, si bien qu'ils s'organisèrent spontanément sous la direction d'Eustache Marron pour se défendre contre les soudards du pape.
Comme toujours en pareil cas, la violence appelle la violence. Le roi envoya des instructions au Parlement d'Aix afin qu'il sévisse et ramène la paix. Le Parlement ne demandait qu'à faire des exemples et ne se contenta pas de demi-mesures. La même année 1532, sept Vaudois périrent sur le bûcher y compris le barbe Serre, l'un de leurs dirigeants les plus notables.

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Le climat était à la violence. Les Vaudois, bien armés, délivraient leurs frères enfermés dans les prisons d'Apt, de Cavaillon et de Roussillon, chassaient les prêtres et refusaient de payer la dîme. On ne peut que les comprendre. Pendant ce temps, le roi avait reçu les princes protestants d'Allemagne dont il avait le plus grand besoin dans ses conflits contre Charles-Quint. Contraint de les satisfaire, il dût relâcher les Vaudois restés prisonniers, mais à la condition qu'ils abjurent dans les six mois.
Aucun des prisonniers relaxés n'ayant abjuré, le roi ordonna au Parlement d'Aix en 1538 de sévir contre ceux qu'il considérait comme relaps. Il n'avait nul besoin de les y pousser. Un juge d'Apt fit brûler un Vaudois du Plan d'Apt dont il convoitait le moulin, qu'il confisqua à son seul profit personnel. La délicatesse morale n'était pas la qualité maîtresse des dirigeants de l'époque.
Pour protester contre cette malversation, les Vaudois mirent le feu au moulin, pillèrent quelques fermes papistes et s'emparèrent de quelques troupeaux qui appartenaient en majorité aux membres du Parlement d'Aix. Indignés qu'on ait pu attenter à leurs biens, le Parlement prit un jugement par contumace le 18 novembre 1540 et condamna 19 habitants de Mérindol à être brûles vifs, certains avec leur famille entière. Il décida en outre que toutes les maisons de Mérindol devaient être abattues et que la cité devait être rasée. L'extirpation de l'hérésie signifiait celle des hérétiques. Hitler n'a rien inventé.

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Après le traité de Crépy en Laonnois (ou en Valois, comme vous voulez) le 16 septembre 1544, François I n'avait plus besoin de ménager les cantons suisses, ni les princes protestants d'Allemagne, alliés des Vaudois et pouvait donner libre cours à la répression. Le cardinal de Tournon avait fait nommer Meynier comme premier président du Parlement d'Aix après la mort inexpliquée du précédent titulaire. Meynier, seigneur d'Oppède , convoitait de son coté les terres de ses voisins vaudois. Le légat du pape en Avignon et le nonce apostolique à Paris intriguaient dans le même but. Quant à Guillaume Guérin, on sait qu'il était entré en fonctions en août 1541 comme avocat général. Il se montrera un accusateur féroce et sera pour ces puissants personnages, l'homme de mains dont ils avaient besoin.

Ils firent préparer à l'intention du roi des lettres de révocation des grâces précédemment accordées. Le texte en avait été rédigé par un simple huissier, sans qu'il ait été visé par le procureur du roi, qui n'avait pas voulu le signer, estimant le dossier incomplet, et de son coté, le Chancelier n'avait ni contresigné ni fait enregistrer l’Édit. On le présenta quand même à signer au roi, mais dans une liasse contenant d'autres actes de faible importance. C'était le 1 janvier 1545. Le roi, plus intéressé par les festivités du nouvel an que par l'administration, n'accorda pas aux documents toute l'attention qu'ils méritaient. C'est de cette manière bâclée de la part du roi, et sournoise de la part des conjurés, que fut déclenchée la suite des événements.
Ces instructions arrivèrent à Aix, le 13 février. Les conjurés avaient attendu l'absence du comte de Grignan car en ce cas, les pouvoirs militaires étaient transférés entre les mains d'Oppède, premier président du Parlement d'Aix et lieutenant du roi. D'autre part on attendait début avril une bande de mercenaires sous la conduite d'Antoine Escalin des Aymars, dit capitaine Paulin de la Garde, de retour d'une campagne en Italie. Pendant tout ce temps, Oppède garda secrètes les instructions du roi pour mieux organiser l'expédition.
Quand tout fut prêt, il convoqua alors le Parlement le dimanche 12 avril, lui communiqua les instructions reçues et demanda les moyens de les exécuter. Il va sans dire qu'il rencontra la plus totale coopération. L'avocat général Guillaume Guérin comptait parmi les plus chauds partisans de la manière forte. Il n'était pas le seul en cette époque où l'intolérance était portée au plus haut point et où les passions engendraient un niveau excessif de violence. En cette parfaite identité de vues, ils constituèrent une commission chargée de procéder à la totale extirpation de tous ceux qui seraient reconnus hérétiques, en employant la force. On ne pouvait être plus clair.

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Les troupes aixoises du baron d'Oppède et les routiers de celui de la Garde se rencontrèrent au pont de Cadenet le 15 avril où ils traversèrent la Durance. C'est à cet endroit que les éclaireurs leur apprirent que les six cents habitants de Cabrières d'Aigues s'étaient enfermés, puis avaient préféré s'enfuir. Sous la conduite de Guérin, les routiers mirent le feu aux quatre villages appartenant à la famille de Bouliers. La vieille baronne Françoise de Bouliers essaya de parlementer. Elle connaissait bien ses Vaudois, les estimait et les protégeait. C'était une maîtresse femme qui n'avait pas l'intention de se laisser faire. Elle se porta au devant des capitaines et menaça de porter les faits à la connaissance du roi. Rien n'y fit et elle fut elle-même menacée. On lui incendia ses fermes, son four et son moulin et on captura ses paysans pour les vendre aux galères. Les routiers allèrent jusqu'à violer les femmes et les mutiler. Elle saura se venger plus tard.

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Rien ne pouvait arrêter la fureur des soudards. Ils pillèrent et incendièrent Villelaure et Lourmarin le 18 avril. Une autre colonne, constituée à la hâte par un ramassis de volontaires issus des milieux les plus interlopes, en faisait autant sur l'autre rive de la Durance. Mais on ne rencontrait plus aucun Vaudois. Ils s'étaient réfugiés dans les collines.
Le village étant désert, les troupes occupèrent Mérindol sans aucune difficulté. Belle occasion pour Oppède de se délasser pendant qu'on lui servait un repas sous l'orme de la place centrale. Il avait mis le feu à l'église et à deux cent fermes quand un soldat lui amena le seul prisonnier qu'ils avaient pu capturer, un valet de ferme âgé de 17 ans du nom de Maurice Blanc. Oppède le lui acheta pour trois écus afin qu'il soit conduit à Aix pour y être jugé.
Les rapports ultérieurs du procès disent que Guérin arriva à cheval sur ces entrefaites et s'opposa de toutes ses forces à ce qu'on lui laisse la vie sauve. L'histoire a même retenu ses paroles: «Tolle, tolle..». Ce sont celles que les Juifs crièrent à Pilate pour en exiger la condamnation de Jésus. Le prisonnier fut attaché à un olivier et tiré à l'arquebuse.
Les autres habitants n'étaient pas loin. Avec femmes et enfants et menant leurs troupeaux, ils avaient remonté le chemin encaissé qui monte au Massif des Cimes à 630 mètres d'altitude. De là, ils pouvaient voir flamber leurs fermes dans la nuit. Ils se rendaient compte qu'ils ne devaient attendre aucune clémence de leurs ennemis, d'autant plus que Trivulcio, le légat de pape en Avignon s'était promis de les exterminer. Seuls deux villages vaudois, Cabrières et Lacoste possédaient une enceinte fortifiée qui permette la défense. Ils décidèrent alors de laisser les femmes et les troupeaux dans la montagne et de rejoindre leurs frères qui se disposaient à résister.

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Les Vaudois avaient eu le temps se s'organiser sous la direction d'Eustache Marron, de préparer les murailles, de barricader les rues et faire se réfugier les femmes et les enfants dans les caves du château. Ils disposaient d'environ 300 combattants. Trivulcio fit alors mettre en batterie les trois canons du pape et fit commencer l'assaut le dimanche 21 avril. Les Vaudois répondaient coup pour coup. Les femmes préparaient les mousquets et les passaient aux défenseurs. Les morts étaient nombreux des deux cotés.

Mais la lutte était inégale et il fallut parlementer. Les Vaudois acceptèrent d'ouvrir les portes de Cabrières si on les laissait émigrer en Allemagne ou bien si on leur promettait un jugement régulier. On leur promit l'un et l'autre et l'évêque de Cavaillon s'engagea personnellement à ce qu'ils aient la vie sauve. Les Vaudois le crûrent. Ils avaient bien tort.
Confiant en la parole de leurs adversaires, Marron, les femmes et ses compagnons sortirent de Cabrières. Ils ne devaient pas aller bien loin. Ils furent tous capturés et conduits dans un pré pour y être arquebusés. On n'épargna que Marron et le pasteur Guillaume Serre qui furent remis au légat. Ils seront conduits en Avignon pour y être brûles.
Les soudards enfermèrent les femmes dans un grenier à foin et y mirent le feu, puis allèrent à l'église. Ils en firent sortir le reste de la population et la massacrèrent. Les soldats du pape exterminèrent tous ceux qu'ils avaient trouvés dans les caves du château et plantèrent leurs têtes au bout de leurs piques. Au cours de son procès, Guérin avouera avoir vu périr environ cinq cents personnes lors de cette boucherie.
Les plus robustes des Vaudois avaient été mis de côté pour être vendus aux galères. Le village de Cabrières fut entièrement rasé avec son château et ses murailles. On dressera plus tard une colonne sur son ancienne place en l'honneur de Jean Meynier, seigneur d'Oppède.

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Les mêmes événement se déroulaient à Lacoste où d'autres Vaudois s'étaient réfugiés après avoir construit des fortifications de fortune. Comme à Cabrières, les soldats s'étaient rués sur les pauvres défenses qui ne résistèrent pas longtemps. Ils ne firent aucun prisonnier. Même les femmes, rassemblées dans un verger près du château furent toutes mises à mort. A Murs, la population s'était réfugiée dans les cavernes. Le légat tenta de l'en faire sortir. Ne pouvant y parvenir, il les fit enfumer. Là non plus, il n'y eut aucun survivant.
En un mois le tableau était impressionnant. Ces purs soldats de Dieu avaient brûlé presque mille maisons et détruit vingt cinq villages. Ils avaient massacré neuf mille personnes en plus des 670 robustes Vaudois qu'ils avaient vendus au marché de l'Isle sur Sorgues. Cette vente constituait un précédent qui ne sera pas oublié. Les protestants en souffriront après eux. Quant aux Vaudois réfugiés dans la montagne, ils les laissèrent mourir de faim et on trouvait chaque jour de nouveaux cadavres dans les champs.

La cavalerie s'installa à la Tour d'Aigues, le village qui avait le moins souffert des pilages. Depuis cette base d'opérations, elle traquait les fugitifs et en général tous ceux plus ou moins soupçonnés d'être Vaudois. Sous couvert de la chasse à l'hérésie, elle pillait aussi les bien des catholiques et en particulier de ceux avec lesquels les tueurs étaient en mauvais termes, une manière d'agir qui est de toutes les époques.

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Ces excès ne s'étaient pas accomplis sans que les seigneurs de la région n'aient eu à pâtir eux mêmes dans leur patrimoine et leurs rentes seigneuriales. Beaucoup avaient essayé de défendre leurs sujets vaudois. Le seigneur de Simiane avait fait partie des colonnes d'Oppéde et on ne pouvait par conséquent le taxer d'hérésie. Il avait fort bien admis qu'on devait tout détruire chez les Vaudois, mais n'était plus du même avis quand il s'agissait de ses terres. Il possédait le village de Lacoste dont on connaît la fin tragique. Il avait essayé en vain de s'interposer et supplié les représentants du parlement d'Aix. Il s'était offert à désarmer lui même ses propres sujets et à livrer les coupables présumés qui lui seraient désignés. Sa lâcheté ne servit à rien. Il ne fut pas écouté et le massacre avait suivi son cours.
On a vu le rôle de la vieille comtesse Françoise de Cental, baronne de Bouliers. En dehors de ses terres du Lubéron, sa famille possédait d'immenses domaines dans le marquisat de Saluces, au sud du Piémont. Elle savait que le roi avait besoin de ses possessions italiennes lorsqu'il y descendait guerroyer et où il trouvait des bases de ravitaillement tout indiquées. Preuves et comptes à l'appui, elle exposa avoir perdu douze mille florins de rentes et entendait bien se les faire restituer.
Le baron d'Oppède, principal responsable de la tuerie, n'ignorait pas que la répression avait été conduite bien au delà des véritables intentions du roi. Il savait qu'il avait causé d'énormes préjudices aux seigneurs du Lubéron et qu'il aurait à fournir des explications sur ses actes. Prenant les devants, il envoya à Paris son gendre, le seigneur de Pourrières qui avait pris part aux massacres afin qu'il remette au roi un rapport qui se présentait comme un plaidoyer.

Le roi ordonna une enquête à la suite de quoi le parlement d'Aix rédigea un procès-verbal de tous les faits survenus au cours de l'expédition. Le cardinal de Tournon et le nonce du pape, en grande partie responsables de la tuerie, soutenaient les accusés et firent comprendre au roi qu'il avait lui même signé l'ordonnance, peut être un peu légèrement et qu'il lui était maintenant difficile de se déjuger.
Le roi avait fort bien compris dans quel guêpier il s'était fourré et ne voulait surtout pas se mouiller. Par lettres patentes du 8 août 1545, il approuva «tout ce qui avait été fait contre les Vaudois» et demanda que tout soit entrepris pour «exterminer cette maudite secte». Les responsables n'avaient plus rien à craindre. Oppède conserva sa position et ses biens et La Garde conserva son commandement.
L’avocat général Guérin se vit même nommé procureur en 1547 pour juger des actions commises contre le royaume dans les provinces du Boulonnais avant de reprendre ses fonctions en Provence. On lui donnait donc un poste de confiance et on devine sans peine qu'il a du accomplir sa tâche avec son fanatisme et son dévouement aveugle.

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François I mourut le 31 mars 1547. Le cardinal de Tournon, principal soutien d'Oppède tomba aussitôt en disgrâce auprès du nouveau roi Henri II, qui pour s'en débarrasser l'envoya comme ambassadeur à Rome. Meynier d'Oppède fit alors une faute. Il arrêta deux gentilshommes provençaux qu'il accusait de complicité avec les Vaudois. Il était allé trop loin. Les accusés ne manquaient pas d'amis à la cour et ils furent facilement lavés de tout soupçon.
La baronne de Cental profita de la situation pour reprendre ses plaintes d'autrefois restées en suspens. Le roi désigna une juridiction spéciale dite «Chambre de la reine» qui siégea à Melun pour juger Meynier d'Oppède, l’avocat général Guérin, le capitaine de La Garde et le légat en Avignon. Les débats s'ouvrirent le 17 mars 1550 dans une atmosphère aussi violente que les faits reprochés aux prévenus, Oppède et Guérin étant les plus visés. On les accusa d'avoir outrepassé les instructions du roi et d'avoir causé la mort de milliers de sujets. On accusa Oppède d'avoir retenu en Provence des troupes qui auraient été bien plus utiles à Boulogne qu'on avait du reprendre sur les Anglais.

L'instruction et les débats remplirent les années 1550 et 1551. Oppède et Guérin se défendirent comme deux beaux diables. Ils étaient habitués aux joutes oratoires et démontrèrent que les ordres reçus contenaient des instructions qu'ils n'avaient fait qu'exécuter, au propre comme au figuré. Ils mirent les atrocités au compte de la soldatesque fanatisée par le légat du pape et entraînèrent les accusateurs dans un cas de responsabilité collective qui rendait impossible toute condamnation personnelle. Enfin, ils mirent aisément le défunt roi en position de complice des massacres.
Le procès se termina en février 1552. Les accusés avaient sauvé leur tête. Oppède fut confirmé dans ses fonctions de Premier Président au Parlement d'Aix et sera nommé ultérieurement chevalier de Saint-Jean de Latran et comte palatin par le pape. Guérin retrouva sa fonction de procureur du roi au même parlement. Les autres accusés furent également libérés.

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Guillaume Guérin aurait pu en rester là. Issu d'une famille roturière, il était parvenu par ses intrigues et ses capacité à une belle situation sociale. Il pouvait prétendre à l'anoblissement de sa famille. Mais on ne refait pas sa nature. Il lui fallait toujours commettre quelque chose de répréhensible, mais cette fois ci devait être la dernière.
J'ignore pour quelle raison il s'attaqua à Gaspard de Grimaldi, comte d'Antibes et de Cagnes, un ancêtre de l'actuelle famille princière de Monaco. Il écrivit des libelles dirigés contre le roi et les signa Antibout pour que les soupçons se dirigent vers le comte d'Antibes. Le comte de Grimaldi se serait ainsi rendu coupable du crime de lèse-majesté et risquait une condamnation à mort à peu près certaine.
Le comte fut arrêté et réussit non sans mal à se disculper des accusations portées contre lui. On finit alors par découvrir que l'auteur de ces faux n'était autre que l'avocat général Guillaume Guérin. Il fut arrêté à son tour et transféré d'Aix à la Conciergerie de Paris. Sa culpabilité ne faisant aucun doute, la baronne de Cental et ses anciens autres accusateurs en profitèrent pour refaire ouvrir l'ancien procès et le faire payer pour tous ceux qui avaient été relaxés auparavant.

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Guérin fut convaincu du crime inexpiable qui entraînait la mort. Les juges s'acharnèrent sur lui et lui attribuèrent en bloc tout ce qui s'était passé dans le Lubéron. On rouvrit ses comptes et on l'accusa de nombreuses malversations et de concussions dont il n'avait pas été avare au cours de sa gestion des biens publics. Pour faire bonne mesure, on l'accusa aussi de faux monnayage, ce qui était manifestement exagéré.
Le Parlement de Paris rendit son arrêt le 26 avril 1554 selon les termes suivants: .«après sera le dict Guérin dévêtu de sa longue robe, sera traîné sur une claie attachée au cul d’un tombereau jusqu’à la place des halles de Paris et illec pendu à une potence et sa tête sera portée à Aix» Selon Meinbourg, à l'heure et au jour de son exécution, la femme de Guillaume Guérin, demeurée à Aix, vit l'image du supplicié empreinte sur sa main.

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Malgré les tueries, les Vaudois n'étaient pas exterminés. Beaucoup d'entre eux purent rejoindre Genève où ils furent accueillis par Calvin et travaillèrent aux fortifications. On leur donnera ensuite les terres incultes de Jussy et de Peney. D'autres rejoignirent leurs cousins du Piémont. Enfin un autre groupe réussit à passer le Rhône à Pont-Saint-Esprit et s'établit dans les communautés protestantes des Cévennes.
Bien qu'ils ne l'aient encore pas compris, les persécuteurs n'ont jamais le dernier mot.





FIN DE CHAPITRE





BIBLIOGRAPHIE: Louis Maimbourg: «Histoire du calvinisme» Paris 1682 - Paul Gaffarel; «Les massacres de Cabrières et Mérindol en 1545» dans Revue Historique T.107 1911 pp; 241/271 - Anonyme: «Histoire mémorable du saccagement du peuple de Mérindol, Cabrières et autres circumvoisins» 1559 - J.Aubéry: .«Histoire de l’exécution de Chabrières et de Merindol et d’autres lieux de Provence particulièrement déduite dans le plaidoyer qu’en fit en l’an 1551 par le commandement du roi Henri II, Jacques Aubéry» Paris 1645.