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26 - Les Guérin du Cayla

(rédaction du 12.7.92)





26. LES GUÉRIN DU CAYLA





La famille Guérin du Cayla possédait des terres à Ols et Rinhodes en Albigeois. Elle acquit la terre du Cayla lorsque Jean de Guérin épousa Jeanne de Lapeyre en 1534. Elle porte «de gueules aux six besants d’argent posés 3-2-1 au chef plein d’azur» et a pour devise: «Omni exceptione majores» (supérieurs à tous sans exception), qui manque nettement de modestie. Elle n'a pas d'histoire particulière avant les deux personnages qui font l'objet de ce chapitre qui descendent d'un couple de pacifiques originaux, Antoine de Guérin (1741-1803) et Reine Sabine Liberate de Verdun (1750-1835).
Le grand père Antoine, par exemple n'acceptait de se faire soigner que par les médecins parlant latin, et on disait que la grand mère coupait la crête de ses poules pour les empêcher de couver. Tous deux, hobereaux peu fortunés étaient lecteurs assidus de Voltaire et de Rousseau. Maire d'Andillac, Antoine s'était compromis quelque peu avec la Révolution en remplaçant le curé par son frère Roch de Guérin, qui avait prêté le serment à la constitution civile du clergé.
Leur fils Joseph (1778-1848) avait préféré émigrer en Italie de 1795 à 1797. C'était un personnage débonnaire, bon époux, bon père et bon citoyen, mais sans grande personnalité. Il eut plusieurs enfants dont deux seulement nous intéressent.


Eugénie de Guérin du Cayla
1805 - 1848


Née le 29 janvier 1805, elle hérita de sa mère une santé médiocre, des idées bien pensantes et un remarquable esprit de famille. Elle reçut son éducation au château puis vint le temps de la marier. C'était d'autant plus délicat qu'elle n'avait pas bonne santé, qu'elle était assez peu favorisée par la nature, et que sa dot promettait d'être des plus réduites. Hélas, Eugénie ne fut ni aimée, ni courtisée, et bien sûr jamais demandée en mariage.
Et pourtant elle n'était faite ni pour la solitude ni pour le célibat. Elle était née avec un excès de tendresse et son coeur généreux ne pouvait se satisfaire d'une vie où elle n'aurait pas à aimer ou s'occuper des siens. Orpheline de sa mère à quatorze ans, elle l'avait remplacée auprès de son jeune frère qui fait l'objet du paragraphe suivant. Plus occupée du bonheur de ses proches que du sien, elle exerçait l'affection envahissante de celles qui s'estiment les seules capables de régler les problèmes des autres. Elle décidait pour lui de son instruction, de sa future place dans la société, de sa conduite et même des gens qu'il devait fréquenter. Elle ira jusqu'à choisir sa future femme.

Pendant les cinq ans que Maurice passa à Paris, Eugénie ne cessa de lui écrire pour lui donner les dernières nouvelles de la famille. Elle lui prodiguait aussi les nombreux conseils dont il devait avoir le plus grand besoin. Il n'y avait en cela rien qui puisse intéresser les autres, mais elle y mettait une telle passion et une telle sincérité, savait si bien rendre un paysage avec des détails si familiers que son «Journal» et aussi ses «Lettres» méritèrent d'être publiés. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ces simples lettres si chaudes de sentiments furent l'un des plus grands succès de librairie du siècle.
Craignant pour le salut de son frère affaibli par la tuberculose, elle avait commencé pour lui ce journal le 13 septembre 1834 et le lui fera parvenir régulièrement cahier par cahier. C'est un bon exemple de castration téléguidée par correspondance.

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Malgré tout, la vie d'Eugénie aurait pu être plus mondaine et plus agréable quand en fin 1838, elle combina souverainement de marier son frère en lui faisant épouser la femme qu'elle lui avait choisie, espérant ainsi qu'elle partagerait l'existence du jeune couple. Bien entendu, elle avait pris immédiatement la jeune femme sous sa coupe et se comporta avec elle exactement comme elle le faisait avec son frère. Elle ne s'était pas rendue compte que leurs deux caractères étaient trop différents pour que leurs relations restent sereines dans de telles conditions. Eugénie, aussi étonnée que dépitée qu'on puisse avoir d'autres opinions que les siennes, en vint à la juger indigne de son frère et à lui reprocher de l'avoir épousée. Ce sont les contradictions des êtres possessifs et autoritaires.

Eugénie avait fait la connaissance de Barbey d'Aurevilly à l'occasion du mariage. C'était un fort bel homme, de trois ans son cadet aux nombreuses conquêtes féminines et que les salons se disputaient. Galant comme toujours, il lui avait adressé les compliments mondains dont il n'était jamais avare. Il l'avait félicitée sur son «allure de princesse» si bien qu'Eugénie, fort peu habituée aux hommages, s'était fait les illusions que l'on devine et rêvera de lui comme à un inaccessible prince charmant. Disons que sa vie aura toujours été une «chasteté ardente» inemployée.

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Eugénie perdit son frère en juillet 1839, mais n'en abandonna pas pour autant son journal qu'elle adressera désormais «à Maurice mort, au ciel» et ne l'arrêtera qu'en 1842. Elle s'installa en fin 1840 chez la baronne Henriette de Maistre à Paris. Son mari manquant de capacités pour calmer ses ardeurs, elle se défoulait en crises de jalousie et en maladies imaginaires. Leur belle amitié ne résistera pas aux visites mondaines de Barbey d'Aurevilly, courtisé à la fois par Eugénie, par la baronne et même par sa belle soeur Jenny dont on ne comptait plus les amants. On imagine aisément les explications passionnées et embarrassée de ces femmes amoureuses d'un même homme qui possédait sur elles l'avantage de l'indifférence. Chassée comme une rivale, Eugénie revint définitivement au château du Cayla qu'elle avait si peu quitté au cours de sa vie.
Sa santé se détériora à partir de 1842 et une cure à Cauterets n'apporta aucune amélioration. Elle mourut le jour de l'Ascension le 31 mai 1848. Son ami Trébutien, bibliothécaire à Caen fera éditer ses lettres et son journal.

BIBLIOGRAPHIE: Émile Barthès: «Eugénie de Guérin» Albi 1929 - Wanda Bannour: «Eugénie de Guérin ou une chasteté ardente» Albin Michel 1983 - G.Trébutien: «Eugénie de Guérin, journal et lettres» Paris 1862 - E.Zyrowski: «Eugénie de Guérin» 1921 - Geneviève.Duhamelet: «La vie et la mort d’Eugénie de Guérin»1948 -


Maurice Guérin du Cayla, écrivain
1810 - 1839


Frère cadet de sa soeur Eugénie, né le 4 août 1810, il passa sa jeunesse au château du Cayla dans une ambiance autoritaire, rigide et bien pensante, un mélange éprouvant dont le jeune homme fera les frais.
Voulant se faire prêtre, il étudia de 1821 à 1824 au petit séminaire de l'Esquille à Toulouse où, dès leur plus jeune âge, les élèves étaient astreints au port de la soutane. Il le quitta pour le collège Stanislas de Paris de 1824 à 1829, sa famille ayant décidé pour lui qu'il étudierait le droit. Il y fit connaissance du futur Barbey d'Aurevilly qui aura une grande influence sur le cours de son existence.
Les émeutes de 1830 destitueront Guérin père de ses fonctions municipales et ajourneront les examens de Maurice. Il échappe à la conscription, la famille lui ayant payé un remplaçant. Maurice, cadet de famille sans fortune, gagnait sa vie en donnant des leçons particulières de latin et en écrivant des articles dans la presse.

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Sa soeur lui fit faire la connaissance de Lamennais chez qui il séjourna à la Chesnaye près de Saint-Malo en 1832-1833. Lamennais, croyant et catholique sincère, se distinguait de ses contemporains en proposant un catholicisme social, que les traditionalistes jugeaient scandaleux, mais qui enthousiasmait la jeunesse. Il préconisait aussi la séparation de l’Église et de l’État pour obtenir une totale liberté d'action. Trop en avance sur son temps il anticipait à la fois sur le prêtre ouvrier et le révolutionnaire en soutane, quelque chose comme un chanoine Kir ou un don Camillo avant la lettre. Ses idées ne pouvaient pas plaire à une Église romaine rétrograde et trop compromise avec le pouvoir. Elles furent condamnées en 1832.
Dans un autre ordre d'idées, Lamennais exigeait de ses adeptes et élèves la même force de caractère que la sienne. Maurice ne pouvait donc convenir en raison de sa santé délicate et de son caractère pacifique. Il le rejeta comme trop mou. Maurice perdit ainsi sa vocation ecclésiastique et entra comme professeur au Collège Stanislas de Paris en 1834.

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Il n'avait pas de chance. Couvé par une soeur dominatrice, puis adepte manqué d'un religieux mis à l'index, il passa sous la coupe d'un mondain raffiné et plutôt sceptique en la personne de Barbey d'Aurevilly , connu pour son existence tapageuse et ses nombreuses conquêtes féminines. Ce dernier tenta de transformer Maurice en lionceau de salon et lui enseigna comment se comporter dans les milieux snobs de la capitale. Dans ce domaine non plus l'élève n'était pas doué.

Maurice mena cependant une certaine vie mondaine, se convertit en dandy et fit des dettes comme il était de bon ton de le faire. Il en ressentait certainement un sentiment d'indépendance tout nouveau et s'émancipa quelque peu de l'autorité d'Eugénie. Pris dans ce tourbillon qu'il découvrait et malgré l'affection qu'il portait à sa soeur, il s'en éloigna et répondit de moins en moins à ses nombreuses lettres.
C'est alors qu'il se prit d'enthousiasme pour le Romantisme et composa ses premières pièces. Le succès aidant, il fut fêté dans les salons littéraires et y connût une passion amoureuse qui tourna court. Il se laissa alors marier par sa soeur et épousa Caroline de Gervain le 15 novembre 1838. Mais même dans ce domaine, sa soeur ne le laissa pas tranquille. Elle qui avait combiné le mariage, jugea sa belle soeur indigne de lui et lui reprocha de l'avoir épousé. Contradictions des soeurs possessives.

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Maurice de Guérin mourut prématurément de la tuberculose le 19 juillet 1837. Sa disparition en pleine jeunesse mit fin à une carrière littéraire qui s'annonçait des plus brillantes. Sainte Beuve et George Sand feront publier «Le centaure» et «La Bacchante» dans la Revue des Deux Mondes le 15 mai 1840. Ce sont deux poèmes antiques en prose, composés en 1835, où l'auteur suppose que le dernier des Centaures raconte à un simple mortel les plaisirs et les aventures de sa jeunesse et ses courses dans les montagnes. Maurice s'y défoulait inconsciemment contre celle qui le téléguidait dans l'existence. Comme Chateaubriand et Renan, mais beaucoup plus qu'eux, il avait vécu sous la coupe d'une soeur aînée castratrice. Son oeuvre ne s'explique pas autrement.

Ses contemporains l'ont considéré comme un des créateurs les plus originaux du romantisme français. Il n'est que de relater ses relations avec Lamartine, Sainte-Beuve, etc... qui louèrent ses écrits et leur profonde personnalité. Son tempérament nettement introverti, son sang bleu, sa noblesse d'âme et son destin brisé se retrouvent dans ses oeuvres. Il en était tellement conscient que ses crises de mysticisme traduisaient le sentiment qu'il ressentait de se trouver entre deux situations antagonistes.

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Trébutien et Barbey d'Aurevilly se chargèrent de publier «Reliquiae» en 1855, puis en 1861 «Journal, lettres et poésies» accompagnés d'une notice biographique et littéraire écrite par Sainte-Beuve. Plusieurs rééditions suivirent en 1901 et 1905 sous le titre de «Oeuvres de Maurice de Guérin»
Depuis 1933, une association: Les amis des Guérin publient «L’amitié guérinienne», un bulletin trimestriel de textes inédits et d'études diverses sur Maurice et Eugénie de Guérin.

BIBLIOGRAPHIE: E.Zyrowski: «Maurice de Guérin» 1921 - Paul Guth: «Histoire de la littérature française» 1967 p.444-446 - A.Reich: «Maurice de Guérin» 1971 - Beaumarchais, Couty Rey «Dictionnaire de la littérature de langue française» 1984 p.988 - Bernard d'Harcourt: «Oeuvres complètes de Maurice de Guérin» Les Belles Lettres 1947 -




FIN DE CHAPITRE





Date de création : 16/07/2007 @ 18:43
Dernière modification : 19/02/2013 @ 14:10
Catégorie : Histoire des Guérin
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